Première vraie rencontre, celle de l’écriture de Corinne Le Lepvrier. Sur trois pages, densément, s’échafaude une liste provisoire de ses « dernières découvertes sur sa vie »…. Les listes sont un mode organisé de la pensée, plus qu’une énumération, elles permettent la brièveté et de s’affranchir, en apparence, d’une hiérarchie, de cohérence contrainte, de l’élaboration d’une rhétorique, bref d’éviter les liens de causalités ou les liens de filiation (sauf si des listes s’enchâssent dans d’autres, ce qui n’est pas le cas ici). Aucun lien, en apparence seulement, parce qu’il apparaît rapidement que le Corinne Le Lepvrier, en égrenant ces brèves notices sur son enfance, ou sur son « être au monde enfant », ne parle que de cela, du « lien » et plus particulièrement, du « lien de filiation et de parentalité».
En tête de liste et ironisant sur les dire du Prophète de Khalil Gibran, Corinne nous assène la découverte magrittienne :
«/ Nos parents ne sont pas nos parents ».
Notre esprit de lecteur s’emballe : poser la filiation en abîme de la parentalité, c’est comme souligner ce lien qui transparait par toute cette force de l’absence et de la double négation posée en exergue.
Car la liste continue, sur le portrait du père « océanique » flux, mais reflux et roulement de cœur à cœur et de la mère « vent », passante, en surface et floue. Et de cette fille résultante, née « en avance ou pressée entre eux » : fille « mouette belliqueuse » mais « vive, vivante, vivace de mes écartèlements ».
Alors, la liste continue, enchevêtrant les pôles paternels et maternels de cette enfance « désolée ».
La mère, celle de la filiation du lait que «j’exècre », du liquide, du blanc, de tout ce qui noie, qui pose, appose, dépose, la mère « pas là » facilement
Le père : celui de la filiation du sang, du torse, des mots, des pieds : le père des « pas »
« / enfant mes pieds en équilibre drôle sur ses pieds et il marche ainsi et on rigole de mes pas sur ses pas »
Un portrait entrelacé, livré sur le dernier mot de la liste « provisoire ». Car c’est aussi l’amour des mots qui tient l’’enfant devenu adulte, comme une île. Pour ne pas se noyer.
Avec cette préférence, notée :
« / enfant, refaire le chemin à l’envers avec les pas dans les pas pour recommencer dans le sable »
Faire l’expérience d’une liste. Sous ses dehors formels, c’est entrer avec pudeur dans l’intimité qui se livre, s’incante. Une liste comme une intercession : délivrez-moi/exhaussez-moi de mes liens ?
///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Une note de Marie-Christine Masset sur le site Recours au poème
Les Carnets d'Eucharis, version papier, opus 2
http://www.recoursaupoeme.fr/revue-des-revues/les-carnets-deucharis-version-papier-opus-2/m-c-masset
« Eucharis me dit que c’était le printemps » écrivait Arthur Rimbaud dans Illuminations, ce Carnet 2 est luxuriance et luminosité. Nathalie Riera ne fait pas semblant avec la poésie, la littérature, la photographie, et les Arts Plastiques... Au Pas du Lavoir, lieu de rencontres et de paroles, laisse les voix plurielles approcher, saisir le lecteur, anthologie surprenante où foisonne et brille la force de la poésie, quelques étincelles entre autres, Fabrice Farre : « Je laisse cette chaise contre la mienne/je vieillis plus vite si j’oublie le temps/et le corps qui venait s’installer », Corinne Le Lepvrier : « /enfant petite en avance et pressée je pleure tout cela déjà : preuve que l’on n’a pas d’âge que l’on ne possède rien. »,
///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Une note d'Isabelle Lévesque sur le site La pierre et le sel
Les Carnets d’Eucharis | # Carnet 2 – 2014
http://www.typepad.com/services/trackback/6a015433b54391970c01a3fd063ee4970b
...
Inédites également les listes poétiques de Corinne Le Lepvrier :
« /enfant on garde ses trésors tout près du lit de l’oreiller où reposer la tête dans la poche de la robe chasuble dans le cartable dans le livre où déposer ses mains dans le sourire où se cacher […]
/enfant engoncée dans un anorak je suis potelée désolée il semble assise sur un banc comme posée déposée là ; je vais devenir une femme menue ; je vais rester petite ce sera ma forme désolée définitive je crois »
...
Les commentaires sont fermés.